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De la crise de la dette à un nouveau partenariat stratégique sino-européen

Cet article est paru en mandarin dans l’édition européenne du Quotidien du Peuple datée du 11 septembre 2012. 

La Grèce, un petit pays qui représente moins de 3% du PIB de la zone euro avait manipulé pendant des années ses comptes publics. La révélation de cette fraude comptable, fin 2009, a constitué le point de départ d’une crise qui, après la Grèce, a touché l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et l’Italie. Ces pays avaient profité de leur adhésion à la zone euro pour financer à crédit leur croissance économique, et accroitre artificiellement le pouvoir d’achat de leurs populations en empruntant toujours plus auprès des banques allemandes et françaises. La crise financière de 2008 a mis fin à cette situation, en provoquant une chute des marchés boursiers et immobiliers et une forte contraction du crédit bancaire dans ces pays. Par la suite, avec la dégradation de la note souveraine de la France par l’agence de notation Standard & Poor’s en janvier 2012, la crise de la dette a menacé d’atteindre le cœur même de la zone euro. Certains analystes et commentateurs ont alors commencé à évoquer ouvertement un éclatement de la zone euro, et un retour aux monnaies nationales : mark allemand, franc français, lire italienne, etc. Mais trois ans après le début de la crise et en dépit de toutes les spéculations, l’euro est toujours là.

La crise de la dette en Europe a des causes à la fois conjoncturelles, – c’est une des conséquences de la crise financière mondiale de 2008 – ; et structurelles, car elle révèle la fragilité institutionnelle et les défauts de conception initiale de la zone euro. L’erreur des dirigeants européens a été de vouloir adopter une monnaie unique sans mettre en place une union politique et budgétaire entre les Etats membres de la zone. C’est pourquoi la sortie de la crise ne peut passer que par l’achèvement de cette union politique et budgétaire. C’est un processus lent et difficile car il faut convaincre chaque Etat membre de renoncer à une part significative de sa souveraineté, dans l’intérêt de tous. Des progrès ont déjà été accomplis dans cette voie. Le nouveau pacte budgétaire signé en janvier 2012 à Bruxelles par les chefs d’Etat de 25 pays européens, à l’initiative de la chancelière allemande Angela Merkel, a posé les bases d’une véritable union budgétaire. Malgré ses insuffisances, notamment en termes de soutien à la croissance, ce nouveau pacte permettra d’éviter des dérapages comme celui de la Grèce, et de mieux contrôler les finances publiques des Etats européens. Il faudra aller plus loin, bien sûr, avec la mutualisation d’une partie des dettes publiques nationales, et la mise en place d’un véritable budget fédéral, doté de ressources fiscales autonomes. Le budget actuel de l’Union européenne ne représente en effet que 1% du PIB européen. La crise actuelle a provoqué une prise de conscience sur la nécessité de renforcer l’Europe.

En outre, avec la mise en place cette année du Mécanisme Européen de Stabilité (MES), doté d’un budget de 700 milliards d’euros, et avec l’extension des pouvoirs de la Banque Centrale Européenne, qui peut désormais acheter des titres de dette souveraine sur les marchés pour limiter la hausse des taux d’intérêt à long terme, la zone euro s’est dotée des outils nécessaires pour gérer la crise. Même si des inquiétudes demeurent encore sur la solvabilité des Etats les plus atteints par la crise, la Grèce bien sûr mais aussi l’Espagne dont le système bancaire est en ruine, la probabilité d’un éclatement de la zone euro est aujourd’hui très limitée. Le risque le plus important pour l’Europe, c’est que les plans d’austérité mis en place pour rétablir l’équilibre des comptes publics dans chaque pays, y compris en France, soient trop contraignants et qu’ils pèsent trop sur la croissance et sur l’emploi. Ce risque a été souligné par le nouveau président français, François Hollande. Mais prise dans son ensemble la zone euro présente en effet un endettement plus faible que les Etats-Unis ou que le Japon. Et malgré la dégradation de la note souveraine de la France, le taux d’intérêt auquel l’Etat français peut emprunter sur les marchés reste l’un des plus faibles au monde. Cela reflète la confiance des investisseurs sur la capacité des Européens à surmonter la crise.

Une solution durable à la crise ne pourra venir que des pays européens eux-mêmes et des efforts qu’ils devront engager pour rétablir la compétitivité et l’attractivité de l’économie européenne. Mais les autres grandes puissances économiques du G20, les Etats-Unis et la Chine, ainsi que les autres BRICS, devront contribuer à la résolution de la crise, car une prolongation de celle-ci pèse sur l’économie mondiale dans son ensemble. La Chine pourrait par exemple s’engager à acheter les obligations en euro émises par le Mécanisme européen de stabilité dont la note est garantie collectivement par tous les Etats de la zone euro. Les fonds d’investissement chinois, tels que le CIC ou le CITIC, pourraient aussi souscrire les Project Bonds émis par la Banque Européenne d’Investissement. Cela permettrait de rééquilibrer les gigantesques réserves de change détenues par la Chine, et de diminuer le risque financier subi par l’Etat et par les contribuables chinois en cas de forte baisse du dollar vis-à-vis du renminbi. Un tel engagement serait un signal fort adressé aux autorités européennes et aux grands pays de la zone, sur la volonté de la Chine de jouer un rôle plus important au niveau international. Cela favoriserait en retour l’internationalisation du renminbi et ouvrirait de nouvelles perspectives aux entreprises chinoises en Europe.

Le développement des relations économiques et financières entre l’Union Européenne et la Chine présente en effet encore un potentiel important. Avec près de 450 millions de consommateurs disposant d’un pouvoir d’achat élevé, l’Union Européenne est le premier marché à l’exportation pour la Chine, devant les Etats-Unis. Une prolongation de la crise dans la zone euro se traduirait par une baisse encore plus forte des exportations chinoises. Inversement, la Chine est considérée en Europe comme une locomotive pour la croissance européenne et mondiale. Un ralentissement significatif de la croissance en Chine aurait un impact très négatif sur l’Europe, en la privant d’un levier de croissance fondamental, à un moment où la consommation intérieure stagne. L’Allemagne a par exemple bénéficié très fortement au cours des dernières années du développement de ses échanges commerciaux avec la Chine qui atteignent aujourd’hui 150 milliards d’euros par an. La Chine importe de plus en plus de produits allemands : automobiles, machines-outils, équipement ferroviaire et aéronautique, produits chimiques et pharmaceutiques, etc. La France exporte aussi de nombreux produits vers la Chine, notamment dans les secteurs du luxe, des services collectifs (transports collectifs, fourniture d’eau et d’électricité, gestion des déchets), et des hautes technologies (nucléaire, aéronautique). Le savoir-faire français est reconnu et apprécié en Chine. Et les entreprises françaises – grandes ou petites – s’intéressent de plus en plus au vaste marché chinois.

Au delà des échanges commerciaux qui devraient continuer à se développer, le potentiel le plus important pour les relations sino-européennes réside dans le développement des investissements financiers et des investissements directs, et notamment des investissements chinois en Europe, qui sont avec 20 milliards de dollars à un niveau encore faible en comparaison avec l’ensemble des investissements européens réalisés en Chine sur la période 2000-2011. Malgré ses difficultés financières, l’Union européenne dispose en effet d’excellentes infrastructures collectives (réseaux de transports et de télécommunications), d’un système éducatif parmi les plus performants au monde, qui produit une main d’œuvre hautement qualifiée (ingénieurs, chercheurs, spécialistes en design et en marketing), et d’un système de santé et de protection sociale d’une excellente qualité. Même dans les pays actuellement en crise comme l’Espagne, il y a des entreprises très performantes. Les opportunités sont nombreuses pour les investisseurs et les entrepreneurs chinois qui désirent investir en Europe, au côté des acteurs publics et privés européens, dans le développement des infrastructures, les hautes technologies, le luxe et les services à forte valeur ajoutée (santé, éducation, médias).

La France en particulier peut représenter une destination de premier choix pour les investissements chinois. Avec un cadre juridique très sécurisé, des services publics performants – même si les procédures administratives pourraient être simplifiées -, investir en France permet d’accéder à l’ensemble du marché européen grâce aux réseaux de transports et de communication ultra-performants dont dispose le pays : trains à grands vitesse qui relient les grandes métropoles françaises (Paris, Lyon, Lille, Marseille) en quelques heures d’autres grandes métropoles européennes (Londres, Bruxelles, Amsterdam, Francfort, Hambourg, Genève, Milan, Barcelone), réseau denses d’autoroutes et de plateformes logistiques multimodales, ports en eaux profondes, etc. Les investisseurs chinois peuvent aussi trouver des aides et des conseils auprès des services de développement économiques régionaux dans chaque grande région française. En effet, même si la région parisienne reste au coeur de l’économie française, les autres régions françaises présentent des atouts humains non négligeables (universités performantes, grands bassins d’emploi), et un coût d’installation plus faible qu’à Paris.

Si les Français, et les Européens de manière plus générale, expriment parfois des inquiétudes sur l’émergence rapide de la Chine et la menace que cette émergence pourrait faire peser sur les emplois européens, le rééquilibrage du centre de gravité de l’économie mondiale en faveur de grands ensembles politiques, démographiques et territoriaux comme la Chine et l’Inde est aujourd’hui une réalité incontournable. Plus aucun homme politique ou responsable économique en Europe ne conteste cette réalité d’un monde multipolaire. Ce qui importe aujourd’hui c’est de faire en sorte que ce rééquilibrage en cours – ce phénomène de « grande convergence » que je décris dans mon livre sur les BRIC – profite à tout le monde, en créant de nouvelles opportunités d’échanges et de partenariats. C’est ce qui s’est passé lorsque le Japon a émergé dans les années 1960-1970 jusqu’à devenir la deuxième économie mondiale. C’est ce qui se passe aujourd’hui avec la Chine et une grande partie de l’Asie et l’Amérique latine. Et c’est ce qui se passera demain avec l’Afrique.

A ce propos, le renforcement des relations entre les entreprises chinoises et européennes, françaises en particulier, pourra aussi bénéficier à l’Afrique qui possède des liens historiques anciens avec l’Europe, et qui s’ouvre aujourd’hui de plus en plus à la Chine, à l’Inde, mais aussi au Brésil. Plutôt que d’être un terrain d’affrontement commercial entre les entreprises chinoises et européennes, l’Afrique peut devenir le laboratoire d’un nouvel ordre mondial fondé sur la coopération et le co-développement qui bénéficiera à tous. De même, le rapprochement des points de vue entre les Chinois, les Russes et les Européens sur les événements du printemps arabe pourrait permettre de trouver de nouveaux modes de régulation de la sécurité au niveau régional et mondial, et de recréer un espace économique intégré entre l’Europe et l’Asie, une sorte de nouvelle route de la soie. Sur ce dossier comme sur les autres, il faut faire de la crise une opportunité pour renforcer les liens entre la Chine et l’Europe, et bâtir un nouveau partenariat stratégique sino-européen, à l’instar de celui qui existe déjà entre la Chine et les Etats-Unis d’Amérique.

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