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Une situation à la Fukushima pour la zone euro

Un article également publié dans Le Huffington Post

Que se passera-t-il quand la Grèce sortira de la zone euro? La situation politique est toujours bloquée en Grèceet de nouvelles élections devraient déterminer la direction que prendra le pays, mais au vu des derniers conciliabules et des tractations entre les différents partis politiques, la sortie de l’euro s’annonce comme l’issue la plus probable.Le parti d’extrême-gauche Syriza a d’ores et déjà annoncé la couleur, en refusant son soutien à un gouvernement qui ne renégocierait pas les mesures draconiennes imposées à Athènes par la Troïka. La question qui préoccupe les décideurs européens et qui rend nerveux les investisseurs, est donc l’effet sur l’Italie et l’Espagne d’une sortie de la Grèce de l’euro.

La situation de la zone euro est aujourd’hui en tout point semblable à celle de la centrale de Fukushima, après le tsunami dévastateur qui a mis hors d’état de fonctionner les mécanismes de sauvegarde de premier niveau. Le tsunami qui a frappé la zone euro c’est bien sûr la crise économique et financière globale, et le mécanisme de sauvegarde de premier niveau, c’est le Pacte de stabilité et de croissance qui a explosé en vol, après avoir montré ses premiers signes de faiblesse dès 2003. La Grèce, déjà, mais aussi la France et l’Allemagne avaient alors affiché des déficits supérieurs au 3% autorisés et avaient alors obtenu un assouplissement du Pacte.

Quant à la digue construite à la hâte pour empêcher la propagation de la crise d’un pays à l’autre, le fameux fonds européen de stabilité financière (FESF) remplacé aujourd’hui par le Mécanisme Européen de Stabilité (MES), elle s’avère totalement sous-dimensionnée. Il faudrait une digue cinq fois plus puissante, dotée de 2000 à 2500 milliards d’euros, pour arrêter la contagion. Or tous les schémas imaginés pour accroître la capacité de cette digue, en jouant sur un effet de levier financier, ont échoué. Du reste, cette ingénierie financière “créative” n’aurait fait qu’ajouter de la fragilité et de la confusion à une situation déjà explosive.

Poursuivons l’analogie. La BCE a dès le départ été appelée à la rescousse par les gouvernements français et allemand pour calmer l’incendie dans les réacteurs grec, irlandais, portugais, italien et espagnol. Dans l’urgence, elle a arrosé de liquidités les gouvernements et les banques de ces pays. Mais elle a aussi très vite fait comprendre qu’elle ne pouvait compenser l’absence de solution politique à la crise. L’ancien chef économiste, l’Allemand Jürgen Stark, a démissionné en pleine tempête, non sans avoir clamé haut et fort son désaccord avec la gestion de la crise. En théorie, les statuts de la BCE ne lui permettent pas d’acheter de grandes quantités de dette souveraine. C’est ce qu’elle a fini par faire indirectement, en prêtant 1000 milliards d’euros aux banques, créant au passage une dangereuse dépendance pour des établissements financiers à bout de souffle.

Ces banques zombie sont, avec les finances publiques exsangues de certains états membres et les notes souveraines dégradées des autres (dont la France), l’une des conséquences les plus durables de la crise. Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff montrent dans leur livre (“Cette fois c’est différent, huit siècles de folie financière”) que les effets des doubles crises bancaires et souveraines mettent des années, voire des décennies, à se résorber. L’exemple du Japon, qui ne s’est toujours pas remis de l’explosion de la bulle immobilière et boursière de la fin des années 1980, est là pour en témoigner.

L’accord de Bruxelles signé en décembre dernier entre 26 Etats de l’Union Européenne – le Royaume-Uni faisant bande à part pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec le coeur du problème – était sensé rassurer les marchés, en imposant une “ceinture de chasteté budgétaire” à l’ensemble des Etats de la zone euro. Mais la discipline aurait du aller de pair avec la solidarité. Cette solidarité manifestée par la création d’euro-bonds – c’est à dire au fond par la mutualisation d’une partie de la dette des Etats membres – a été refusée par l’Allemagne, opposée à toute “Union de transferts”.

Au delà du volet croissance voulu par le nouveau président français, François Hollande, qui ne se résumera au mieux qu’à quelques mesures symboliques en l’état actuel des rapports de force politiques en Europe, il s’agit donc aujourd’hui surtout de remettre en selle l’idée de fédéralisme budgétaire. Sans un tel mécanisme, la zone euro sera, comme la centrale de Fukushima, démantelée, et les Etats les plus impactés par la crise transformés en jachères démographiques et industrielles. Déjà en Grèce, au Portugal et en Espagne, les jeunes diplômés et les cadres qualifiés commencent à émigrer plus au nord en Europe, mais aussi aux Etats-Unis ou au Canada, voire en Australie et en Chine. A un siècle d’intervalle, l’Europe risque donc à nouveau de devoir faire face à une fuite massive des cerveaux et à une émigration des talents qui vont alimenter la croissance des autres grandes zones économiques émergentes ou émergées de la planète.

La véritable question est donc la suivante : voulons-nous et pouvons-nous nous permettre cela?

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