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Bienvenue dans un monde multipolaire et interdépendant !

Chronique BRICS du jeudi 19 avril 2012 dans La Tribune

Vu de l’étranger, et notamment d’Allemagne, des Etats-­‐Unis et des BRICS l’élection présidentielle française de 2012 suscite peu d’enthousiasme. C’est un euphémisme, si l’on se rappelle la violente charge portée il y a quelques semaines par le journal The Economist contre les élites françaises, accusées de «déni de réalité». La question centrale – comment restaurer la compétitivité du pays et rétablir l’équilibre des finances publiques sans tomber dans le piège de l’austérité ? – semble en effet éludée dans les discours de campagne. En outre, les deux principaux candidats affichent leur volonté de revenir sur certains engagements internationaux de la France. A droite, Nicolas Sarkozy a évoqué une suspension possible de la participation de la France à l’accord de Schengen. A gauche, François Hollande a affirmé vouloir renégocier l’accord européen négocié en décembre 2011 à Bruxelles, et accélérer le retrait des troupes françaises basées en Afghanistan. Tous deux parlent enfin de taxer les transactions financières, et évoquent des « écluses » sociales et environnementales aux frontières de l’Europe.

Il y a des raisons objectives derrière ces annonces, notamment s’agissant de la renégociation de l’accord européen pour y inclure un volet de croissance. Cette idée fait son chemin en Allemagne et même les milieux financiers s’y intéressent, comme en témoigne un éditorial récent du Financial Times. Néanmoins, la manie très française de faire cavalier seul sur des questions qui engagent potentiellement un grand nombre de pays passe mal. Cet « unilatéralisme français », assimilé à une certaine forme arrogance, pourrait être pris au sérieux s’il était accompagné d’une véritable capacité d’infléchir l’ordre – ou le désordre -­‐ international. Mais venant d’une puissance moyenne au déficit commercial abyssal et au taux de chômage élevé, cela fait sourire.

Il y a belle lurette qu’à Pékin, Brasilia, ou New Delhi on considère que le centre du pouvoir décisionnel en Europe se trouve à Bruxelles. Sur les questions commerciales, qui intéressent au premier rang les BRICS, c’est à Bruxelles exclusivement que se prennent les décisions qui engagent tous les membres de l’Union. Et en matière financière, énergétique et environnementale, c’est également à Bruxelles que sont élaborées l’essentiel des textes législatifs qui sont ensuite transposés dans le droit des Etats membres. Si la France veut peser dans le monde sur ces questions, cela passe donc par le renforcement de son poids diplomatico-­‐politique à Bruxelles. Or pour cela, il faut être capable de susciter l’adhésion de l’ensemble des pays concernés, ce qui est loin d’être acquis en multipliant les déclarations unilatérales intempestives.

Ensuite, si Nicolas Sarkozy a réussi au cours des cinq dernières années, au prix d’un activisme frisant parfois le bougisme stérile, a sensibiliser ses homologues du G7 et du G20 à la nécessité de mieux réguler la mondialisation, l’essentiel de ses propositions est resté au stade de vœux pieux. Peut-­‐être parce qu’à force d’insister sur les grands principes et de multiplier les déclarations d’intention, notamment sur la réforme du (non-­‐)système monétaire international, il a fait perdre au G20 la crédibilité acquise par ce dernier « à chaud » à l’automne 2008, dans sa gestion des conséquences de la faillite de Lehman Brothers. Il n’est pas évident que le seul changement d’occupant à l’Elysée puisse infléchir cette donne, tant que toutes les leçons de cet échec n’auront pas été tirées. Le prochain président aura, quel qu’il soit, à résorber le décalage croissant entre les attentes et les résultats suscités par les sommets successifs du G20, et à réconcilier les points de vue parfois antithétiques des grandes puissances développées et

émergentes, sur des questions allant de la régulation financière aux normes sociales et environnementales. Il devra surtout faire preuve de beaucoup d’humilité quant à la capacité d’un pays de 65 millions d’habitants à peser sur le cours des choses dans un monde comptant 7 milliards d’individus aujourd’hui, et entre 9 et 10 milliards en 2050.

Enfin, le prochain président devra achever la mue de l’appareil diplomatique français en évaluant les diplomates sur la base d’objectifs opérationnels concrets, et sur leur compréhension effective des contextes locaux et des grands enjeux mondiaux, caractérisés par une interpénétration croissante entre les questions sécuritaires, économiques, culturelles et technologiques. Cela implique de mettre l’accent sur l’identification des « signaux faibles », et sur le renforcement des capacités prospectives en matière géopolitique et géoéconomique. Cela passe aussi par une meilleure articulation entre les opérateurs publics et privés, et au sein de ces derniers entre grands et petits acteurs, à travers la constitution, dans chaque secteur stratégique, de filières intégrées à l’export. Cela nécessite enfin de dissocier la vision normative d’un ordre international fondé sur le multilatéralisme, de la réalité beaucoup plus prosaïque d’un monde à la fois plus interdépendant et multipolaire.

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