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BRICS: face au dollar, les monnaies émergentes souffrent

Roupie indienne, real brésilien, livre turque, rand sud-africain… Les devises des pays émergents baissent face au dollar. Les dernières déclarations de la Banque centrale américaine – la FED – sur la fin de l’assouplissement monétaire ont fait pâlir les BRICS, qui craignent une fuite des investisseurs. Entretien avec Alexandre Kateb, directeur du cabinet de conseil « Compétence Finance » et spécialiste des économies émergentes.

Interview publié sur JOLPRESS le 30/08/2013

Les monnaies des pays émergents ont-elles du plomb dans l’aile ? Face au dollar, la roupie indienne a chuté de 20% depuis le 1er mai, le real brésilien de 17%, le rand sud-africain de 13,5% et la livre turque de 11,9%. Des chutes record pour ces pays dits « émergents », qui connaissent depuis le début de l’année 2013 une baisse globale de leurs économies.

JOL Press : Que révèle cette dégringolade des monnaies émergentes ? À quoi est-elle due ?

Alexandre Kateb : Cette chute des devises émergentes a été surtout provoquée par les craintes de resserrement de la politique monétaire aux États-Unis suite aux dernières déclarations des membres de la Réserve Fédérale.

Mais d’autres facteurs l’expliquent aussi, notamment la montée générale de l’aversion pour le risque des investisseurs américains et européens dans un contexte géopolitique tendu (Egypte, Syrie, Iran), ainsi que le ralentissement de la croissance en Chine et ses répercussions sur les fournisseurs de matières premières comme le Brésil, l’Indonésie ou l’Afrique du Sud.

Il y a enfin des difficultés structurelles dans certaines économies comme l’Inde qui souffre d’un problème chronique de bouclage de sa balance courante et d’une politique budgétaire trop laxiste. Ces difficultés sur lesquelles les investisseurs ferment les yeux en période de croissance deviennent plus apparentes en période de ralentissement de cette dernière.

JOL PRESS : Est-ce inquiétant pour l’économie des pays émergents ? Que risquent-ils ?

Alexandre Kateb : Tout dépend de l’ampleur du phénomène. À l’extrême, le décrochage des devises, s’il s’intensifie, peut aboutir à de véritables crises de change doublées de crises bancaires et souveraines, comme les pays émergents ont en connu dans les années 1990 (Mexique en 1994, Russie en 1997, pays de l’ASEAN en 1998, Brésil en 1999).

Néanmoins, la situation est aujourd’hui différente, car la plupart des pays émergents ont des réserves en devises qui leur permettent de mieux résister à des mouvements de panique des investisseurs.

JOL Press : Que signifient alors ces décrochages pour les investisseurs étrangers ?

Alexandre Kateb : Pour les investisseurs, ces décrochages signifient que la valeur de leurs investissements exprimée en dollars ou en euros baisse, ce qui impacte négativement leur perception de ces marchés et peut accentuer le phénomène de baisse à travers des « ventes panique » et des retraits d’actifs à un moment où tout le monde se précipite vers la sortie.

D’un autre côté, s’ils anticipent que ce mouvement de décrochage n’est que temporaire, cela peut constituer une opportunité d’achat pour certains investisseurs. Tout dépend des marchés concernés et des vulnérabilités conjoncturelles ou structurelles qui sont perçues sur ces marchés et du potentiel de rendement à moyen et long terme.

À court terme, il y a sans doute une volonté des investisseurs de réaliser leurs gains sur les marchés émergents et de se repositionner sur des marchés plus matures qui deviennent plus attractifs à mesure que la croissance revient et que les taux de rendement des actifs, corrigés des risques, augmentent aux États-Unis et en Europe relativement aux rendements sur les marchés émergents.

JOL Press : Les banques centrales des pays émergents ont-elles les moyens de rehausser la valeur de leur monnaie ? Cela suffirait-il ?

Alexandre Kateb : Dans un régime de libre circulation des capitaux, aucune banque centrale au monde ne peut s’opposer très longtemps à une pression massive du marché sur sa monnaie. C’est plus facile de freiner l’appréciation de sa propre monnaie, ce qui implique d’imprimer sa propre monnaie et permet d’accumuler des réserves de devises, que d’essayer d’enrayer une baisse de sa monnaie, ce qui nécessite de mobiliser ces mêmes réserves en devise pendant une période indéfinie.

On peut limiter les mouvements de capitaux, mais c’est une solution à double tranchant, car elle peut entraîner une méfiance durable des investisseurs vis-à-vis du pays qui y recoure. On peut aussi augmenter les taux d’intérêt pour retenir les capitaux étrangers mais cela pénalise la croissance.

La manière la plus intelligente de lutter contre une crise de change, c’est d’exposer une stratégie cohérente pour mettre fin aux vulnérabilités structurelles ou conjoncturelles qui sont à l’origine du décrochage. Une bonne communication est l’arme la plus efficace en période de turbulences.

JOL Press : La FED a-t-elle un rôle à jouer ? Quelle attitude devrait-elle adopter ?

Alexandre Kateb : La FED a une responsabilité, bien sûr, puisqu’elle est à l’origine des craintes des investisseurs suite à ses annonces sur le resserrement de la politique monétaire américaine. Mais il ne faut pas exagérer son importance. C’est un signal qu’elle envoie aux investisseurs : libres à ces derniers d’en tirer leurs propres conclusions. Ce sont eux, in fine, qui provoquent les décrochages des devises émergentes par leurs actions.

La bonne attitude pour la FED est de temporiser et de montrer sa bonne volonté de coopérer avec les pays émergents. Plus fondamentalement, cela traduit l’importance encore exagérée que jouent les États-Unis et le dollar sur le plan international au niveau financier et monétaire, même si le poids économique réel des États-Unis baisse tendanciellement grâce au rééquilibrage opéré par la Chine et les autres pays asiatiques.

JOL Press : La situation actuelle en Syrie pourrait-elle aggraver la situation ?

Alexandre Kateb : La situation en Syrie peut effectivement accentuer l’aversion pour le risque et avoir des répercussions sur le prix du pétrole qui pénalise fortement les pays émergents qui sont importateurs nets d’énergie comme l’Inde ou la Turquie.

Mais il ne faut pas exagérer l’importance de ce type de facteur géopolitique, pris isolément. Il faut le replacer dans une situation d’ensemble qui est déjà compliquée au niveau économique et monétaire.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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