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Don’t cry for me Argentina. La leçon de Cristina aux Européens

Chronique BRICS du 27 avril 2012 dans La Tribune

On se souvient de l’émouvante performance de Madonna dans le rôle d’Eva Peron, la seconde femme charismatique du président Juan Peron – le De Gaulle argentin -, devenue une véritable pasionaria de la cause des femmes et des pauvres. Décédée du cancer à l’âge de 33 ans, elle est toujours considérée comme une icône très populaire en Argentine. Cristina Kirchner, l’actuelle présidente argentine, réélue triomphalement pour un second mandat en octobre 2011, n’a jamais caché son admiration pour cette figure féministe. Celle qui est restée très longtemps dans l’ombre de son mari, l’ancien président Nestor Kirchner, s’est fait élire à la présidence en 2007 en promettant de continuer la politique d’inspiration péroniste de son mari et de redorer le blason de l’Argentine dans le monde.

C’est pourquoi, si l’annonce à la mi-avril de la nationalisation de la compagnie pétrolière YPF (Yacimentos Petroliferos Fiscales) à travers l’expropriation de son actionnaire majoritaire, la major espagnole Repsol, a choqué le gouvernement espagnol et a provoqué une levée de boucliers dans l’Union européenne, elle a été plutôt bien accueillie en Argentine. Au sud du Rio de la Plata, on se rappelle encore la “décennie honteuse” des années 1990, au cours de laquelle beaucoup de grandes entreprises nationales, dont YPF, avaient été bradées aux étrangers à vil prix. Pour beaucoup d’Argentins, ce n’est donc qu’un juste retour des choses. Ainsi pour l’ancien ministre de l’économie Roberto Lavagna, en poste de 2002 à 2005, “c’est une bonne chose que l’Etat reprenne le contrôle d’YPF, qu’il n’aurait jamais dû perdre”. Selon lui, “Repsol n’a pas investi comme il l’aurait dû et a très largement redistribué ses dividendes”.

Le coeur du problème est là. D’un côté, il y a les intérêts d’une société étrangère privée, Repsol, qui tirait de sa filiale argentine la moitié de sa production d’hydrocarbures, 40% de ses réserves et un tiers de son bénéfice brut. De l’autre côté, il y a l’intérêt national d’un Etat dont la facture énergétique a considérablement augmenté ses dernières années, à mesure que l’économie reprenait des couleurs après la crise de 2000-2001, et qui a vu la production nationale se contracter faute d’investissements suffisants de la part d’YPF-Repsol. L’Argentine a ainsi importé du pétrole pour près de 10 milliards de dollars en 2011, faisant chuter sa balance commerciale et menaçant le pays de redevenir déficitaire dans les années à venir. Or, comme le rappelle Mark Weisbrot dans le Guardian, le pays n’a pas accès aux marchés internationaux de capitaux et tout déséquilibre de sa balance courante pourrait provoquer une grave crise de la balance des paiements.

La décision de nationaliser YPF vient d’être approuvée par le Sénat argentin. Avec l’exploitation des immenses gisements de pétrole et de gaz non conventionnel découverts récemment, l’Argentine pourrait reconquérir son autonomie énergétique et devenir un exportateur net d’hydrocarbures. Mais une telle exploitation ne pourra se faire sans des investissements colossaux que les groupes privés rechignent à engager. La solution passera donc sans doute par Pékin et par Brasilia avec lesquels le gouvernement de Cristina Kirchner entretient des liens étroits. Le Brésil est la grande puissance hégémonique de la région, mais il importe du gaz en provenance d’Argentine. La Chine, elle, importe déjà une bonne partie de la production de soja et de boeuf argentins, et s’intéresse beaucoup au potentiel de ces nouveaux gisements pétroliers et gaziers. Quant aux Européens, ils ont été trop lents à réagir et à comprendre les reconfigurations à l’œuvre à l’échelle de la planète, sur les plans géoéconomique et géopolitique. En refusant de prêter des capitaux à l’Argentine lorsqu’elle en avait besoin, ils ont jeté cette dernière dans les bras de la Chine. Ils ne faut pas s’étonner qu’ils deviennent aujourd’hui les dindons d’une farce multipolaire !

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