(Article repris par Le Cercle “Economie & Entreprise” du journal Les Echos)
Après avoir superbement résisté à la crise économique mondiale – qui s’est traduite par un effondrement de près de 30% du commerce mondial en 2009 ! – la Chine semble bien partie pour profiter de la reprise, passant devant le Japon pour devenir la deuxième puissance économique mondiale en 2010. L’horoscope chinois traduit parfaitement cette réalité : 2009 était l’année du “boeuf de terre”, 2010 sera celle du “tigre de métal”. Le boeuf symbole de force et de résistance. Le tigre symbole de dynamisme et d’agileté.
S’il y a un enseignement à tirer de la crise économique et financière c’est bien la résilience de l’Empire du Milieu et son rôle de plus en plus affirmé dans l’économie mondiale, à l’heure où la puissance américaine entame un déclin séculaire marqué par l’explosion de la dette publique, la vétusté des infrastructures et une “fatigue stratégique” héritée des excès de la période Bush.
Il serait faux de croire que l’Amérique est irrémédiablement perdue. L’élection de Barack Obama et le virage qu’il a imprimé à la première puissance mondiale montre que le peuple américain est capable d’un sursaut, puisant dans les racines profondes de son exceptionnalisme moral et politique les ressources nécessaires pour restaurer le leadership. Les échecs relatifs de l’administration Obama à l’international (sommet de Copenhague, conflit israélo-palestinien, dossier nucléaire iranien) ne doivent pas masquer les succès sur le plan intérieur, et notamment la réforme du système de santé américain, la plus significative depuis 1964, et un plan massif d’investissement dans les énergies renouvelables qui placera les Etats-Unis en pole position dans la nouvelle économie verte qui se profile.
Néanmoins, c’est vers la Chine que se tournent désormais tous les regards. La Chine qui doit aujourd’hui assumer une nouvelle étape dans son développement, avec une démocratisation du système politique en l’absence de laquelle tous les acquis de la croissance économique des trente dernières années risquent de s’étioler. La condamnation du dissident Lu Xiaobao, l’un des inspirateurs principaux de la Charte 08 à une peine de prison lourde de 11 ans (en première instance), et le soutien affiché des autorités de Pékin à divers régimes authoritaires, de la Corée du Nord au Soudan en passant par la Birmanie n’augurent pas a priori d’une démocratisation rapide du régime. Mais les forces sociales qui ont émergé avec le développement du pays et son ouverture à l’international (salariés de multinationales, entrepreneurs privés, juristes, associations non gouvernementales, bloggeurs et journalistes indépendants, etc.) témoignent d’une évolution en profondeur de la société qui n’a plus rien à voir avec le spectacle monolithique des chinois en col mao agitant le petit livre rouge.
La Chine avance, à son rythme et selon ses propres modalités certes, mais elle avance tout de même vers un état de droit. Ainsi, la profession d’avocat qui n’existait pratiquement pas il y a trente ans est aujourd’hui bien institutionnalisée avec des associations du barreau dans toutes les grandes métropoles. L’actualité judiciaire est régulièrement ponctuée de victoires d’ONG et d’associations civiles contre des décisions d’administrations locales, d’organismes de l’Etat ou de grands groupes financiers (indémnisation dans le cadre d’expropriations ou de préjudices divers). Avec l’essor d’internet, les médias échappent de plus en plus au contrôle des autorités et un journalisme d’investigation authentique se développe qui n’a rien à envier à ses homologues occidentaux. Même le parti communiste chinois est obligé de s’ouvrir aux nouvelles couches sociales et de démocratiser son mode de fonctionnement et de décision. Un premier pas vers une démocratie plus affirmée. Il ne s’agit pas de présenter une image idyllique de la situation mais de décrire les tendances structurelles à l’oeuvre, en dépit des revirements et des hésitations des dirigeants, qui se crispent d’autant plus qu’ils se sentent dépassés par les événements.
Sur le plan monétaire, la crise financière a aussi révélé la fragilité d’un système international fondé sur une seule devise hégémonique : le dollar. De nombreux commentateurs et analystes ont alors souligné l’émergence du renminbi chinois comme alternative au dollar. C’est aller un peu vite en besogne et oublier tout le chemin que la Chine doit encore accomplir pour rendre sa monnaie pleinement convertible et la hisser au range de monnaie de réserve internationale. Pékin a jusqu’à présent opté pour une libéralisation très graduelle du contrôle des changes et de la balance de capital, afin de préserver les grands équilibres macrofinanciers intérieurs. L’appel d’air provoqué par la crise internationale devrait néanmoins accélérer les choses. Un nouveau département a été créé en novembre 2009 à la Banque centrale pour gérer la politique de change et mettre en oeuvre la convertibilité du yuan. Surtout, Pékin a donné le feu vert à ses grandes entreprises pour facturer directement en renminbi leurs transactions internationales, et Hong Kong se prépare à devenir la nouvelle place forte internationale sur le marché des produits spot et dérivés sur le yuan.
Enfin, sur le plan économique et social, les autorités chinoises ont pris conscience du retard accumulé dans la réforme du système de santé et de protection sociale, en ruine depuis le démantelement dans les années quatre-vingt dix de l’ancien système de santé communiste qui assurait bonant malant une couverture universelle. En outre, la politique de l’enfant unique et les tendances démographiques liées à l’urbanisation vont accentuer le déséquilibre entre actifs et retraités à l’horizon 2050. La Chine pourrait ainsi devenir “vieille” avant de devenir riche. Dans ce domaine aussi, c’est une course contre la montre qui s’engage.
On le voit, les défis qui attendent la Chine sont immenses à l’orée de l’année du Tigre de Métal. Nul n’oserait plus qualifier l’Empire du Milieu de colosse aux pieds d’argile, mais la route vers la superpuissance est encore longue.