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Quelle stratégie de sortie de crise ? Pour un Yalta de la finance.

Il y a un an la planète financière était en pleine effervescence. On assistait à la faillite de l’une des plus grandes banques d’investissement au monde, Lehman Brothers, au sauvetage in extremis de la plus grande compagnie d’assurance au monde, AIG, et à la chute des marchés – toutes classes d’actifs confondues – dans un contexte de montée générale de l’aversion pour le risque et d’évaporation soudaine de la liquidité.

La notion de risque systémique, qui n’était jusque là qu’un concept théorique prétexte à des études savantes par d’obscurs universitaires, devenait une réalité. On se passait en boucle les images en noir et blanc de la Grande crise de 1929, et on faisait des parallèles entre la faillite de Lehman Brothers en 2008 et la chute de la Knickerbocker Trust Company en 1907, prélude à une grande panique bancaire aux Etats-Unis. Même la chute du fonds spéculatif LTCM (Long Term Capital Management) en 1998 faisait désormais pâle figure à coté du détonateur Lehman qui menaçait de faire imploser l’ensemble du système économique et financier mondial.

C’était il y a un an. Cela semble pourtant très lointain aujourd’hui. Une autre époque pour ainsi dire. La faillite de la banque américaine CIT, qui détenait le plus grand book de créances sur les PME aux Etats-Unis, et qui s’est placée en début de semaine sous la protection de la loi sur les faillites, le Chapter 11, n’a même pas fait sourciller les marchés boursiers, plus attentifs aux chiffres positifs de l’indice des directeurs d’achats américains et aux ventes de maisons qui repartaient à la hausse.

Bien sûr si on en est là aujourd’hui c’est grâce à l’intervention massive et coordonnée de l’ensemble des gouvernements et des banques centrales de la planète pour sauver les meubles et éviter le pire. A cet égard, le sommet du G20 à Londres en avril dernier a constitué un tournant historique et a coïncidé avec le retour de la confiance sur les marchés et le redémarrage de la production industrielle, après des mois de destockage massif. Les banques, qui avaient bénéficié de centaines de milliards d’euros d’argent public, apportés en garantie ou sous forme de fonds propres en échange de vagues promesses de moralisation, ont recommencé à afficher des bénéfices insolents et des bonus qui feront de cette année l’un des meilleurs crus de la profession.

La logique capitaliste – une action, une voix – a ainsi montré qu’elle était plus forte que la logique démocratique – un citoyen, une voix – et qu’elle possédait décidément un poids politique et une influence incommensurable avec celle des citoyens de base, dépourvus des moyens de lobbying collossaux dont disposent les Goldman Sachs, J.P. Morgan et consors.

Don’t act. Ce qui importe aujourd’hui ce n’est pas d’émettre des jugements moraux réprobateurs, mais de faire en sorte que les erreurs, voire les aberrations du passé ne se reproduisent plus à l’avenir. Pour cela, il faut revenir aux fondements de la crise actuelle, comprendre ses causes profondes et finalement comme dirait Alan Edgar Poe réfléchir froidement au mobile du crime plutôt qu’à l’atrocité du crime.

Et à bien y réfléchir l’explication tient en un seul mot : bulle. Une bulle énorme, un tsunami de liquidité déversé par la Réserve Fédérale Américaine au lendemain du crash de la “nouvelle économie” en 2000. C’est le fameux “put Greenspan” du nom du président de la Réserve Fédérale de l’époque, Alan Greenspan, qui est resté dans l’histoire comme le meilleur ami des traders. Le même Greenspan qui a reconnu récemment que la crise avait révélé la faillite de toute la construction intellectuelle qui sous-tendait son analyse de l’économie et des marchés.

Cette idée que les marchés pouvaient s’auto-réguler, que la titrisation dispersait les risques et que les déséquilibres macroéconomiques mondiaux étaient une question secondaire à l’ère du “consommateur roi”. A la dérégulation financière correspondait une vision irénique de la globalisation fondée sur le modèle Wal-Mart que nous avons déjà évoqué dans un précédent article et sur le paradigme du “monde plat” du journaliste américain Thomas Friedman, dans lequel cohabitent harmonieusement l’ouvrier de General Motors, la petite tailleuse chinoise et l’informaticien indien. Une description à la Candide qui fait l’impasse sur les rapports de force bien réels qui façonnent l’économie mondiale.

Aujourd’hui, alors que les signes de reprise se multiplient et que les consommateurs commencent à relèver la tête sous l’effet des stimulus budgétaires massifs aux Etats-Unis et en Chine, et des taux d’intérêt proches de zéro, les banques centrales des grands pays développés et émergents doivent faire face à leur responsabilités. N’ayons pas peur des mots, cette responsabilité est historique. L’enjeu est de savoir si nous voulons revivre la crise actuelle, en pire, dans dix ans, où si nous voulons construire un système économique plus juste, plus équilibré, avec une meilleure allocation des ressources, et une concentration des intelligences et des talents sur les grands défis du XXIème siècle que sont l’environnement, la santé et la lutte contre la pauvreté.

Il faudrait pour cela convoquer une réunion des grands banquiers centraux de la planète pour coordonner les stratégies de sortie de crise. Une sorte de Yalta des banques centrales, dans lequel les gouvernements auraient aussi leur mot à dire car c’est eux qui possèdent in fine la légitimité politique, issue des urnes. L’horizon de la politique monétaire étant généralement de 2 ans (dans les pays où les mécanismes de transmission fonctionnent correctement), c’est maintenant qu’il faut agir. Pour envoyer un signal clair aux marchés et aux acteurs de l’économie réelle.

Par quoi cela passe-t-il ? Avant tout par la définition d’une stratégie de sortie de crise clairement articulée entre la politique monétaire et la politique budgétaire. La crédibilité de l’une reposant sur la soutenabilité de l’autre. Il faut d’abord des objectifs chiffrés de réduction des déficits publics, quitte à étaler cette réduction dans le temps pour ne pas “casser” la reprise. Et pourquoi pas généraliser l’exemple allemand d’une inscription dans la Constitution ou dans un Traité international de cette stratégie coordonnée d’assainissement des comptes publics.

Il faut ensuite stabiliser les devises par un accord entre les principales banques centrales qui s’engageraient à intervenir en cas de déviation trop significative des cours de change par rapport à des cours d’équilibre définis par les parités de pouvoir d’achat (en prévoyant éventuellement, un glissement dirigé, un “crawling peg” pour les devises émergentes). Il ne s’agit pas de remettre en place le système rigide de Bretton Woods mais de maîtriser de manière plus efficace la volatilité des changes qui pèsent beaucoup sur les décisions des agents économiques.

Il faut enfin s’assurer que le développement de la liquidité bancaire n’aille pas alimenter à nouveau les comptes des spéculateurs mais que celle-ci soit canalisée vers des utilisations productives. Pour cela, l’idée d’une taxe sur les transactions financières pourrait être une solution, mais plus fondamentalement il faudrait surtout réaligner la taxation des plus-values sur le capital et la taxation du travail. Augmenter la première et diminuer la seconde.

Enfin, cela peut sembler hétérodoxe et contradictoire avec l’idée de maîtrise de la liquidité, mais l’introduction d’une dose d’inflation salariale – contrôlée au besoin via un mécanisme de ciblage d’inflation généralisé à l’ensemble des grandes banques centrales – pourrait constituer une solution en taxant implicitement le capital, en allégeant la dette publique, et en évitant que la liquidité bancaire aille encore alimenter des bulles spéculatives aux conséquences catastrophiques. Mais cela suppose d’en finir avec « le modèle Wal-Mart ». On en est encore très loin.

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