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Sommet du G20 à Pittsburgh : des avancées et des incertitudes

Force est de reconnaître que le sommet du G20 à Pittsburgh a abouti à de réelles avancées sur les deux sujets les plus prioritaires du moment : la gouvernance économique mondiale, dans un contexte de reprise fragile des plus grandes économies de la planète, et la régulation financière, avec un ensemble de règles destinées à remettre les mauvais génies de la finance dans leur bouteille.

Sur la gouvernance économique, cela a été dit et redit : au delà de la consécration du G20 qui se substitue au G8 comme forum principal de discussion sur les grandes questions économiques et financières, les deux grands gagnants de ce sommet sont la Chine et le FMI.

La Chine tout d’abord qui va obtenir plus de poids au FMI moyennant une repondération des droits de vote qui va se faire au détriment des grandes nations européennes. Le FMI ensuite, qui avait déjà obtenu un triplement de ses moyens financiers au sommet de Londres en avril dernier. L’organisation internationale voit son importance renforcée sur la question des déséquilibres mondiaux, en étant chargée de quantifier les progrès réalisés par les Etats et de jeter les bases d’un dialogue entre grandes puissances sur cette question. Mais on imagine mal le FMI faire pression sur la Chine ou sur les Etats-Unis, ces derniers disposant  toujours d’un droit de véto au sein de cette institution.

D’autres part, en matière de régulation financière, et c’est là qu’on attendait le plus de progrès, il y a eu des avancées significatives qui consolident les acquis de Londres. Tout d’abord, sur la forme. Le sommet de Pittsburgh a établi un véritable calendrier des réformes et a consacré le Conseil de la Stabilité Financière, comme instance de coordination et de mise en oeuvre opérationnelle des nouvelles normes. Sur le fond ensuite, hormis la question des rémunérations dont la portée est plus symbolique que réelle, s’agissant de principes de bonne gouvernance auxquels les banques ont souscrit sans peine – y compris la plus puissante d’entre elles, Goldman Sachs -, la véritable avancée de ce sommet concerne le traitement du risque systémique pour lequel a été entériné le principe d’un contrôle renforcé, assorti d’exigences plus fortes en matière de fonds propres et d’effet de levier global.

Il importe toutefois de noter l’extrême difficulté qu’il y a sur le plan opérationnel à mesurer ce risque systémique et à déterminer si un établissement doit être qualifié de systémique (en fonction de critères tels que la taille, le type de produits traités, l’interconnexion avec d’autres établissements, etc). L’exemple de la crise de liquidité de l’automne 2007 (un an avant la faillite de Lehman) montre que le risque systémique peut être lié à la défaillance combinée de plusieurs institutions de taille petite ou moyenne, ou à une soudaine reconcentration du risque auparavant dispersé parmi une myriade d’acteurs (comme ce fut le cas pour les portefeuilles de produits titrisés). C’est ce qu’on appelle en théorie des jeux un défaut global de coordination. C’est pourquoi, même si on contrôle mieux les grands établissements, il faudra dans tous les cas renforcer la surveillance des dynamiques de marchés, aux comportements parfois totalement erratiques.

Ensuite, sur un plan plus structurel, l’impact à long terme sur l’industrie financière des différentes mesures édictées lors de ce sommet demeure très incertain. Comme l’observe Simon Johnson, ancien Chef Économiste au FMI, si les crises financières des vingt dernières années sont nées de l’éclatement de différentes bulles macro-financières (pays émergents, Internet, immobilier, etc), la crise de 2007-2008 est différente dans la mesure où elle manifeste l’éclatement d’une “méta-bulle”, liée au poids hypertrophié de l’industrie financière dans la valeur ajoutée globale. Cette méta-bulle est le fruit de la libéralisation et de la dérégulation des années 1980 – 1990 qui a vidé de leur substance les grandes régulations bancaires des années 1930 (Glass-Steagall Act de 1933). Au demeurant celles-ci étaient devenues obsolètes car elles n’avaient pas prévu la révolution de la titrisation et la montée en puissance des grandes entreprises de courtage non régulées (Bear Sterns, Lehman Brothers, Merril Lynch) qui avaient constitué un vaste système de créances interconnectées adossées à des actifs financiers, le fameux “shadow banking system” (voir à ce sujet l’excellent article de Tobias Adrian et Hyun Song Shin dans la Revue de stabilité financière de la Banque de France).

La réduction des leviers bancaires et l’accroissement des contraintes réglementaires devraient donc logiquement aboutir à une baisse de la rentabilité des établissements bancaires et à une diminution de leur poids dans la valeur ajoutée à un niveau plus conforme avec la moyenne historique de long terme (autour de 5% du PIB). Mais il ne faut pas négliger la capacité d’innovation des acteurs financiers. L’histoire montre que les phases de durcissement de la réglementation ont souvent préludé à des phases d’intense créativité en réaction à cette “poussée réglementaire”. Ainsi en France c’est la rigidité du système d’encadrement du crédit mis en place dans les années 1970 qui avait abouti au développement exponentiel du marché monétaire et obligataire dans les années 1980, l’innovation financière ayant contourné la digue réglementaire pour mieux la faire exploser.

En outre, les quelques faillites retentissantes dont celles de Lehman Brothers ne doivent pas faire oublier les grands gagnants de la crise financière : ces institutions “too big to fail” qui ont survécu et en ont profité pour accroître leur part de marché, donc leur risque systémique, dans un secteur où la notion d’aléa moral a totalement disparu. C’est ainsi qu’avant le sommet de Pittsburgh et alors que les nouvelles mesures de régulation n’en étaient qu’au stade de la discussion, les dirigeants de la banque Goldman Sach n’ont pas hésité à lancer un avertissement aux grands de ce monde pour freiner leur excès de zèle réglementaire.

Pour l’heure, les mauvais génies de la finance ont regagné leur bouteille. Mais pour combien de temps ?

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