La photo se veut rassurante. Les argentiers des vingt économies les plus importantes de la planète, auxquels se joint la Directrice générale du FMI, affichent un sourire de circonstance.
Pourtant le G20 des ministres des finances de Baden Baden en Allemagne, signale résolument la fin d’une époque, celle d’un multilatéralisme consensuel et néo-libéral, un multilatéralisme de façade, qui n’a jamais permis de résoudre le moindre problème de fond de l’économie mondiale.
L’institution du G20 Finances a précédé de plusieurs années celle du G20 des chefs d’Etat. Il a été institué en 1999 comme une réponse à la crise asiatique de 1998, et des critiques qui étaient alors apparues sur l’absence de consultation des grandes économies émergentes – comme la Chine et l’Inde, mais aussi le Brésil et l’Indonésie – dans la résolution de cette crise aux multiples répercussions et effets de contagion.
Ce mécanisme de concertation élargi avait coïncidé avec l’initiation du cycle de Doha de l’OMC en 2001, supposé associer de manière plus importantes les économies en développement aux grands enjeux du commerce mondial, et leur faire bénéficier de son expansion.
Or, l’administration Trump vient de signifier, dans ce qui constitue son premier test grandeur nature en matière de diplomatie multilatérale, qu’elle ne voulait plus voir la traditionnelle formule associée à la promotion et à la défense du libre échange figurer dans le communiqué final de cette réunion.
Au delà de la bataille de mots, qui prise isolément peut paraître anecdotique, ce qui se joue là est bien une remise en cause profonde d’un consensus libre-échangiste qui constitue pourtant un des points d’ancrage fondamentaux de la Pax Americana de l’après Seconde guerre mondiale, et plus encore de l’après-Guerre froide. Même les attentats du 11 Septembre 2001 n’avaient pas fait renoncer l’Amérique à ce postulat fondamental de la Pax Mercatoria associé à leur leadership mondial. Et voilà qu’un Président américain balaie d’un revers de manche cette idée et fait vaciller le sacro-saint “consensus de Washington”.
Certes, la tendance au protectionnisme n’émane pas que des Etats-Unis. On en voit partout les preuves et les ferments en Europe, le Brexit en étant une illustration avancée tout comme les sanctions contre la Russie – qui sont une forme à peine masquée de protectionnisme. C’est une conséquence directe de la Grande crise mondiale de 2008. Cette dernière, si elle a été moins violente pour le monde occidental que celle de 1929, n’en constitue pas moins un point d’inflexion majeur qui a mis à jours les vulnérabilités de chaque grand bloc économique et commercial.
Nous avons abordé dans notre ouvrage paru sur les BRICs en 2011 les conséquences profondes de la crise de 2008 et son effet d’accélération du grand mouvement de rééquilibrage du monde hors de la sphère d’influence américano-occidentale. Ce mouvement a été quelque peu masqué par la promesse de préservation de l’ordre libéral-wilsonien, énoncée par Barack Obama dès son arrivée à la Maison blanche. Ce qui n’était rien d’autre, en réalité, qu’une garantie de maintien – à l’usage des élites américaines et de leurs alliés – d’un ordre mondial américano-centré.
Le discours de Donald Trump et sa posture isolationniste et protectionniste, qui peut sembler déroutante à première vue, correspond au final à une réaction logique face à l’échec de la doctrine Obama, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des Etats-Unis. Ce dernier n’a pas réussi à démontrer que “ce qui était bon pour le monde, était bon pour l’Amérique”. Donald Trump lui ne lie plus les deux termes de l’équation. Il retourne en cela à une vision traditionnelle conservatrice d’une Amérique qui se veut à l’abri des turpitudes du monde, centrée sur elle-même et sur la défense de ses intérêts immédiats.
Cela correspond finalement au retour d’une conception agonistique de l’économie mondiale, qui s’accorde mieux à la perception d’une régression tendancielle de la capacité de projection globale des Etats-Unis, à laquelle, quoi qu’il en dise, le président Trump adhère, tout comme une grande partie de l’establishment américain. Cela ne signifie pas que les Etats-Unis renoncent à exercer un rôle majeur dans le monde. Leur prospérité dépend encore, dans une large mesure, de leur force de projection militaire et de l’acceptation du dollar comme monnaie de réserve mondiale. Mais il est clair, désormais, que les Etats-Unis n’assumeront plus tous seuls le poids du système d’alliances qu’ils ont constitué autour d’eux après la seconde guerre mondiale, et qu’ils ont consolidé à l’époque de la guerre froide.
En cela, l’administration Trump ne constitue pas une rupture mais le prolongement d’une tendance de fond initiée dès … 1971 avec le “choc Nixon”, et l’abandon du système de l’étalon-dollar. Avec Trump, l’Amérique tourne définitivement la page et renonce à assumer le fardeau d’un système mondial auquel sa puissance et son hégémonie, désormais relatives et non plus absolues, ne suffisent plus.