des pays émergents. N’est-elle pas devenue une puissance ? Sinon quels défis doit-elle relever pour y arriver ?
Entretien avec Alexandre Kateb, spécialiste des pays émergents et de la Russie. Il est également le fondateur de l’agence Competence Finance Consulting et auteur du livre Les nouvelles puissances mondiales – Pourquoi les Bric changent le monde aux Editions Ellipses.
Aujourd’hui la Russie : Dans quelle mesure, la Russie doit-elle être toujours considérée comme un pays émergent ?
Alexandre Kateb : C’est une question assez complexe puisque la Russie a eu une trajectoire très particulière dans cet ensemble des BRICS.
Elle est l’héritière de l’URSS qui représentait pendant la guerre froide une alternative au modèle occidental et capitaliste, ensuite cette phase idéologique s’est refermée sur une longue période de stagnation.
Le problème de la Russie est qu’elle a réussi à devenir une grande puissance industrielle mais a raté le passage à l’économie post-industrielle, c’est-à-dire à une économie de la connaissance et de l’innovation, en dehors du secteur militaro-industriel.
L’échec à passer à ce stade final du développement fait que la Russie a connu toutes sortes de turbulences, puis une crise systémique qui a débouché sur l’effondrement de son système politique et économique, et sur la chute de ses indicateurs démographiques et sociaux.
C’est en ce sens que l’on peut parler de puissance émergente pour la Russie. Mais on peut également parler de puissance « ré-émergente » puisque c’est un pays qui a vécu un décrochage et qui, aujourd’hui, connaît une renaissance économique qui devrait, dans un premier temps, lui permettre de rattraper son retard par rapport aux puissances avancées.
ALR : Quels sont les défis que la Russie doit relever pour être considérée comme une puissance ?
A. K : Ils sont de deux ordres, selon moi. D’abord un défi démographique évident puisque la Russie a connu une période de stagnation, voire de déclin démographique. Aujourd’hui, on s’aperçoit que la situation démographique et sociale s’améliore mais n’est toujours pas très positive.
La Russie doit attirer des populations d’immigrés pour faire face aux besoins de l’économie et assurer un renouvellement des structures productives de l’emploi. Cela doit aussi passer par une redéfinition de l’identité russe dans un sens plus englobant, plus multiculturel, que la dérive nationaliste et identitaire à laquelle on a assisté après l’éclatement de l’URSS.
Cette redéfinition de l’identité est vitale non seulement pour contenir les tensions entre les différentes communautés mais aussi pour assurer le développement de son économie à long terme.
ALR : Quel est le deuxième défi ?
A. K : Le deuxième défi est celui de la diversification de l’économie et de l’innovation. Aujourd’hui, nous observons une nouvelle primarisation de l’économie russe qui repose essentiellement sur le secteur des matières premières.
Pour lutter contre cette économie de rente, il faut que la Russie accélère sa diversification et ses investissements dans les infrastructures et dans l’innovation. Son salut ne peut venir que de là.
Cela signifie également que le pays doit accélérer ses réformes institutionnelles car une économie de l’innovation ne peut pas fonctionner dans un cadre politique autoritaire.
Si un pays ne donne pas de libertés pleines et entières aux individus, et ne garantit pas leurs droits, notamment leurs droits à la propriété matérielle et intellectuelle, mais aussi le respect des contrats, l’indépendance de la justice… alors un pays ne peut pas libérer les énergies individuelles.
Donc tant que la Russie gardera des visions de modernisation autoritaire, elle ne sortira pas de cette situation de pays à revenus intermédiaires, qui accèdent à un certain stade de développement mais restent néanmoins toujours à la traine, dépendants des autres, au lieu d’être leaders.
ALR : Aujourd’hui la Russie ne prend t-elle pas le chemin de l’innovation, notamment avec des projets comme Skolkovo ?
A. K : Mais il faudrait une centaine de projets tel que Skolkovo pour réorienter l’économie russe vers l’innovation.
Or pour que cela puisse se faire, il faudrait également que toutes les initiatives de l’Etat soient supportées par desinvestissements du secteur privé, ce qui implique une accélération des réformes institutionnelles.
Aujourd’hui, les investisseurs étrangers ne sont pas tentés par du partenariat quand ils constatent que les Russes, eux-mêmes, placent leurs capitaux à l’étranger. Or le capital des riches Russes devrait être réinvesti d’urgence dans le pays, dans des projets qui soutiennent l’innovation, mais aussi dans l’infrastructure des transports.
Quand on voit l’état des routes dés que l’on sort des grandes métropoles, on constate qu’il y a un vrai décalage entre l’image de la Russie comme grande puissance économie et militaire, et la réalité à l’intérieur du pays, qui est très différente.
Il faudrait sur ce sujet une révolution des mentalités pour que la Russie puisse se développer et avoir toute la place qu’elle mérite dans le monde.
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