Chronique BRICS du 5 avril 2012 dans La Tribune
Lorsque Dilma Rousseff a succédé à Luiz Inacio Lula Da Silva – dit Lula – à la tête du Brésil, fin 2010, elle n’était encore pour la majorité des commentateurs et des analystes qu’une technocrate méritante, auréolée d’un passé vaguement romantique de militante contre la dictature militaire dans les années 1970. Ses premiers mois à la présidence du Brésil tendaient à confirmer cette image de compétence matinée de rigueur, qui tenait difficilement la comparaison avec le style flamboyant et le charisme de son prédécesseur. Dilma Rousseff elle-même semblait fuir la lumière et préférer les longues réunions de cabinet, ainsi que le travail patient mais ingrat de conciliation sur de multiples dossiers – allant de la réforme des retraites à la réforme foncière – avec les intérêts puissants des oligarchies et des corporations représentées au sein du Congrès brésilien.
Mais les conséquences sur le Brésil de l’accentuation de la crise économique et financière dans la zone euro et du ralentissement observé en Chine dans le courant de l’année 2011, ont obligé l’impassible fille d’immigré bulgare, qui s’est hissée au sommet de l’Etat à force de courage et de volonté, de sortir enfin de sa réserve. Après avoir connu plus de 7,5% de croissance en 2010, le géant sud-américain a en effet vu sa croissance fondre de moitié en 2011. Au point que certains, au Brésil comme ailleurs, se demandaient déjà si le “super-cycle” de croissance des années 2000, coïncidant avec les deux présidences de Lula, n’était pas en train de toucher à sa fin. Et ce alors même que le sommet Rio+20 de juin 2012, l’organisation de la Coupe du monde de football en 2014 et des Jeux olympiques d’été en 2016 se traduisaient par une augmentation considérable des dépenses publiques ! Sans parler des défis colossaux que représentaient la lutte contre les inégalités sociales et contre le faible niveau de formation d’une partie importante de la population. Ces deux fléaux, fortement intriqués, empêchent depuis des décennies le Brésil de rejoindre le club des économies les plus avancées de la planète.
Mais c’était sans compter le mélange de pragmatisme et d’audace dont a fait preuve Dilma Rousseff. Face à la crise et à l’appréciation de la monnaie brésilienne qui menaçait d’handicaper sérieusement la compétitivité à l’export de l’industrie brésilienne, le gouvernement a déployé, sous l’égide de la présidence, une panoplie de mesures destinée à protéger son économie. Ce furent d’abord les mises en garde répétées du ministre des Finances brésilien, Guido Mantega, contre la “guerre des monnaies” à laquelle se livraient selon lui les Etats-Unis à travers leur politique monétaire expansionniste,se traduisant par un déversement sans précédent de liquidités – “un tsunami monétaire”, dira Dilma Rousseff – sur les économies émergentes. Ces discours furent suivis de mesures fiscales pour ralentir l’afflux de capitaux spéculatifs étrangers. Ce fut ensuite l’accord négocié avec le Mexique pour limiter les importations de véhicules automobiles afin de préserver le potentiel productif brésilien. Ce fut enfin l’engagement du gouvernement brésilien à acheter en priorité des produits “made in Brazil”, même s’ils étaient de 25% plus chers aux produits étrangers.
Aujourd’hui, les mesures annoncées vont encore plus loin. Pour lutter contre le coût prohibitif du crédit, le Brésil ayant pour des raisons historiques l’un des taux d’intérêt les plus élevés au monde, les autorités viennent de débloquer l’équivalent de 20 milliards de dollars de crédits à taux préférentiel accordés aux grandes entreprises nationales par le bras financier de l’Etat, la BNDES. Cette manne financière s’accompagne d’une réduction significative des charges sociales sur les entreprises qui affichent une forte masse salariale, afin d’accélérer la création d’emplois fortement rémunérés. Au final, c’est un stimulus fiscal et monétaire de près de 33 milliards de dollars que le gouvernement brésilien met en œuvre pour soutenir son industrie. A cela s’ajoutent diverses mesures pour diminuer le poids de la bureaucratie – le fameux CustoBrasil décrié par les industriels – tel que le remplacement par un guichet unique de l’ensemble des organismes publics fiscaux et sociaux auparavant en relation avec les entreprises.
En définitive, face à une Europe qui n’en finit pas de s’enfoncer dans la crise, à coups de plans d’austérité et de rigueur, et à une Amérique du Nord qui doute d’elle-même, le Brésil fait ainsi résolument le pari de la croissance, et affiche par cette politique de soutien au secteur privé, à laquelle s’ajoute un investissement massif dans le logement social et les infrastructures, une confiance résolue en l’avenir qui pourrait bien en faire une superpuissance industrielle majeure au XXIe siècle.