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Rouge Brésil : quelles perspectives pour Dilma II ?

Après une campagne électorale riche en rebondissements, Dilma Rousseff a été réelue à la présidence du Brésil, avec une très faible marge devant son adversaire du second tour, le candidat du PSDB, Aecio Neves. Sa tâche sera rude pour redresser l’économie du pays et rassembler une nation qui n’a jamais été aussi divisée, entre un Nord et un Nord-Est à la traîne du développement, qui ont profité largement des programmes sociaux mis en place par le Parti des Travailleurs depuis son arrivée au pouvoir en 2003, et un Sud et Sud-Est industrialisés, qui se sentent entravés par la bureaucratie, la corruption, le clientélisme prévalents sein de la classe politique, et un droit du travail passablement archaïque.

Sur le plan économique, on ne peut pas dire que le bilan du premier mandat de Dilma Rousseff ait été très reluisant. Elle a été incapable de hisser l’économie brésilienne au dessus du faible sentier de croissance potentielle – 2% en moyenne – qui la caractérise depuis une vingtaine d’années. La croissance de 4% en moyenne obtenue pendant la période Lula peut s’analyser, rétrospectivement, comme une exception dans un contexte de retour à la stabilité macroéconomique, de forte demande extérieure – chinoise notamment – pour les commodities brésiliennes, et d’abondance de liquidité au niveau mondial. Ces conditions hyper accommodantes se sont en effet traduites par un boom de la consommation privé, adossée au crédit bancaire et à l’élargissement du marché intérieur, soutenu par les programme sociaux.

Néanmoins, les problèmes de fond de l’économie brésilienne demeurent : faible compétitivité internationale de l’industrie, à l’exception de quelques fleurons nationaux comme EMBRAER, coût du capital excessif hors programmes d’investissement subventionnés par l’Etat et la BNDES – la banque nationale de développement économique et social – , réglementations tatillonnes et droit du travail rigide qui se traduisent par un taux d’informalité particulièrement élevé. Sans compter la pénurie de main d’oeuvre qualifiée, qui est due à un système de formation inadapté et à un investissement insuffisant dans le capital humain,  ainsi qu’à des infrastructures insuffisantes en quantité et en qualité qui constituent autant de goulots d’étranglement pour l’offre industrielle.

Si Dilma Rousseff a été réélue, au final c’est surtout grâce à la formidable machinerie politique du PT, très bien implanté sur l’ensemble de l’immense territoire brésilien, et parce que les récipiendaires des programmes sociaux ont eu peur que ces derniers ne soient remis en cause avec un changement de cap politique. Le PT et les partis qui lui sont proches contrôlent en effet l’échiquier politique brésilien et dominent le Congrès fédéral, où se décide le sort de l’ensemble des propositions de lois gouvernementales, et qui fonctionne comme une énorme machine à redistribuer des crédits budgétaires sur un mode clientéliste. Interpréter l’élection présidentielle sans prendre en compte le fonctionnement complexe de la politique brésilienne, et le rôle joué par le Congrès, véritable gardien des clefs du système, c’est passer complètement à côté de l’essentiel.

La Constitution de 1988 donne en effet des pouvoirs limités au président, et l’avenir du pays se joue dans des tractations sans fin entre l’exécutif fédéral, les exécutifs locaux et le pouvoir législatif. La Banque centrale échappe en principe aux tractations politiciennes, jouant un rôle de garante de la stabilité macroéconomique du pays. De ce fait, et compte tenu du “passif brésilien” – l’hyperinflation des années 1990 –  ses marges de manoeuvres sont limitées pour soutenir la croissance. Lula comme Dilma se sont donc beaucoup appuyés sur la BNDES pour mettre en oeuvre une politique économique axée sur le soutien à la demande, à travers la construction de logements sociaux, la limitation du prix de l’énergie, et le soutien à l’investissement des grandes entreprises publiques comme Petrobras, véritable Etat dans l’Etat, tout comme l’est Gazprom en Russie. Et si l’économie brésilienne est plus diversifiée que l’économie russe,  les problèmes de corruption mis en évidence au sein de Petrobras sont assez emblématiques des effets d’une rente pétrolière.

Comment assainir le système économique, soutenir l’investissement privé et la formation de capital humain sans casser la dynamique positive en matière de redistribution de revenu issue des programmes sociaux ? Telle est l’équation à laquelle Dilma Rousseff devra très vite s’atteler. L’affirmation d’un statut de puissance mondiale pour le Brésil dépendra en effet de sa capacité, à la fois à corriger les insuffisances du marché – par exemple en matière d’investissement dans les infrastructures –, à relancer l’offre privée, et à juguler les mauvaises habitudes nées d’une longue période d’exercice du pouvoir : clientélisme politique et statu quo économique.

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