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Révolution ou status quo ? Les conséquences pour les banques des réformes engagées par le G20.

En avril 2009, six mois après la faillite de Lehman Brothers, les dirigeants du G20 se sont réunis à Londres pour mettre sur pied un programme ambitieux de réformes du secteur financier, en mettant l’accent sur les banques et les infrastructures de marché. Près de six ans après, il est intéressant de faire un bilan sur ce qui a été accompli, et sur les conséquences que cela peut avoir pour les acteurs financiers, et plus particulièrement pour les banques américaines et européennes, qui continuent de dominer le système financier mondial, en attendant la convertibilité du renminbi et l’internationalisation effective des banques chinoises. C’est l’objet d’une étude réalisée en collaboration avec le cabinet de conseil Chappuis Halder & Cie (cf. lien vers l’étude en bas de l’article).

La crise financière de 2007-2008 est née d’une conjonction de facteurs macroéconomiques (politique monétaire laxiste et bulle immobilière aux Etats-Unis), financiers (fragilité des modèles d’évaluation de certains produits structurés adossés à des crédits subprime), et comportementaux (incitations faussées des différents acteurs aboutissant à un problème d’aléa moral). Les réponses apportées à cette crise par les gouvernements et les législateurs ont-elles été satisfaisantes ? Pour le comprendre il faut plonger au coeur des arcanes de la régulation financière internationale.

De fait, la donne a profondément changé au cours des cinq dernières années : nouvelles normes prudentielles dites Bâle III, introduites par le Comité de Bâle, gardes-fous supplémentaires pour les institutions financières à caractère systémique, lois de séparation bancaire redéfinissant les contours et les modes opératoires des grandes banques universelles, nouveaux régimes de supervision et de résolution bancaire, nouvelles règles pour sécuriser les transactions sur les produits dérivés. Le momentum réglementaire a été impressionnant.

Avant la crise, les banques étaient essentiellement perçues comme des structures passives, destinées à gérer le risque d’un portefeuille de crédits adossés à des ressources relativement stables (dépôts de la clientèle et dette à long terme). La crise a révélé la fragilité d’un refinancement des banques devenu de plus en plus dépendant du marché interbancaire, accroissant le risque de diffusion à l’ensemble du système bancaire d’un problème concernant un seul établissement. La liquidité interbancaire elle-même est devenue dépendante de la liquidité des autres marchés d’actifs. Cela s’explique par les variations du prix du collatéral adossé au prêts interbancaires, et des décôtes appliquées sur celui-ci, qui augmentent mécaniquement en période de forte volatilité des marchés. L’économiste Markus Brunnermeier, professeur à l’Université de Princeton, explique très bien cela dans un papier lumineux consacré aux origines de la crise financières. C’est pourquoi les nouvelles normes prudentielles, dites Bâle III, ont ciblé en priorité ce risque de liquidité et ses répercussions systémiques.

Les régulateurs se sont également attaqués à ces “armes financières de destruction massive”, – selon l’expression de Warren Buffet -, que sont devenues au fil des ans les centaines de trillions de dollars d’encours de produits dérivés de taux d’intérêt, de change et de crédit accumulés dans les bilans des banques et compagnies d’assurances internationales. Avec de nouvelles obligations relatives à l’enregistrement des transactions sur les dérivés de gré à gré, et à la compensation centralisée de ces transactions – c’est à dire au passage par une chambre de compensation centrale qui assume le risque de contrepartie – , les régulateurs ont voulu remettre de l’ordre dans une énorme pelote emmêlée. Pour certains analystes, obliger tous les acteurs à passer par des chambres de compensation centralisées ne ferait que concentrer les risques dans ces dernières, sans qu’une évaluation n’ait été faite de l’impact de cette concentration en période de crise. Cette critique a été prise en compte par les régulateurs. Elle s’est traduite par un renforcement des exigences en matière de fonds propres pour les chambres de compensation.

Enfin, pour éviter que les contribuables ne supportent les coûts de sauvetage d’institutions bancaires devenues Too Big to fail – trop importantes pour faire faillite -, les législateurs ont voulu ériger des barrières entre les activités d’intermédiation des banques, adossées à des dépôts qui bénéficient d’une garantie explicite, et les activités de marché qui détournaient une partie de ces ressources à des fins spéculatives. Après des décennies de déréglementation et de libéralisation financière, on assistait donc à une inversion de tendance.

En Grande-Bretagne où des ressources fiscales considérables ont été mobilisées pour sauver des banques comme la Royal Bank of Scotland et la Lloyds, les députés ont appliqué au pied de la lettre les recommandations de la commission Vickers, qui prônaitt une stricte séparation entre les activités commerciales et de marché. Ils ont même “électrifié” la barrière, donnant la possibilité au superviseur de démanteler une banque en cas d’infraction répétée à la loi. Aux Etats-Unis, la règle Volcker, intégrée à la loi Dodd-Frank, a prohibé les opérations de marché pour compte propre et les investissements des banques dans des fonds spéculatifs (private equity, hedge funds). Quant aux transactions sur les produits dérivés, elles auraient du toutes être transférées vers des filiales ne bénéficiant pas de la garantie des dépôts, en vertu de la règle dite du “swap push-out”. Mais l’industrie bancaire a obtenu que les activités de tenue de marché et de couverture sur les produits dérivés de taux, de change et de crédit ne soient pas concernées par cette règle.

Dans l’Union Européenne, la Commission Barroso a également formulé en 2013 les grands principes d’une loi de séparation, sur la base du rapport Liikanen commandé par le commissaire Michel Barnier. Mais suite au vote de la législation britannique très dure en la matière, et au vote de lois de séparation très édulcorées en France et en Allemagne, la nouvelle Commission Juncker ne manifeste plus un grand enthousiasme pour imposer une législation commune au niveau européen. Sa priorité consiste désormais à parachever l’Union bancaire, portée sur les fonds baptismaux en décembre 2013, et à donner à la BCE les moyens nécessaires pour exercer son rôle de superviseur unique au sein de la zone euro. Il n y a donc guère qu’en Grande-Bretagne où une loi de séparation des activités bancaires digne de ce nom ait été votée, et où elle commence à être appliquée.

Prises dans leur ensemble, les réformes financières introduites par le G20 ont plusieurs conséquences sur les modèles d’activité bancaires. Tout d’abord, elles devraient provoquer une réorganisation des fonctions liées à la gestion financière, à la gouvernance et au contrôle des risques. On va vers une plus grande transversalité de ces fonctions, au sein d’un dispositif intégré, là où une approche en silos prévalait avant la crise. Cette dernière a en effet mis en évidence le lien fondamental entre liquidité de marché et liquidité bancaire, comme cela a été indiqué plus haut.

Ensuite, on devrait assister à une reconfiguration du périmètres d’activité des banques européennes et américaines, en fonction de leur “pouvoir de marché”, et de leur capacité à générer des économies d’échelles. Une différentiation croissante devrait apparaître entre les grandes banques internationales possédant un réel avantage compétitif en raison de leur taille, et les banques locales dont la pérennité dépendra de leur capacité à connaître finement les besoins de leurs clients. En outre, la standardisation des produits financiers, et notamment des produits dérivés, devrait s’accélérer, stimulée par les exigences réglementaires en matière de collatéralisation, et de compensation centralisée de ces produits. Enfin, un recentrage géographique devrait accompagner le recentrage organisationnel, en raison des coûts croissants des filiales étrangères (exigences en fonds propres, accès plus difficile aux dépôts et à la liquidité interbancaire), et de la concurrence de plus en plus vive des acteurs locaux, notamment sur les marchés émergents.

Néanmoins, en dépit de tout cela, le modèle de la grande banque universelle n’a pas été remis en cause par les régulateurs du G20. On assiste au contraire à une plus forte concentration au sein de l’industrie bancaire, les survivants ayant absorbé les défaillants et accru leur part de marché. L’absorption des coûts liés à l’implémentation des nouvelles réglementations (besoins de recapitalisation, constitution de réserves de liquidité, renforcement des exigences sur la titrisation, les produits dérivés et les opérations de marché) a e, effet accéléré un mouvement de consolidation sectoriel engagé bien avant la crise. La seule différence, c’est qu’aujourd’hui des plans de résolution encadrent de manière plus formalisée l’action des pouvoirs publics, en cas de défaillance d’une institution financière à caractère systémique. Et les créanciers de la banque – autres que les déposants  sont désormais priés de supporter une part plus significative des coûts avant que l’argent des contribuables ne soit utilisé.

Le danger pour les grandes banques internationales ne vient donc pas des nouvelles réglementations, dont l’impact sera absorbé moyennant une baisse de leur rentabilité, vers un niveaux plus proches de celui des entreprises non financières (10%-12% au lieu de 20%). La véritable menace vient plutôt des innovations technologiques disruptives, portées par des acteurs non bancaires  – les fameux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), les opérateurs télécom et les myriades de start-ups en passe de révolutionner l’industrie financière. Dans un environnement en pleine mutation, les banques ne pourront plus reporter sur leurs clients l’intégralité de leurs coûts de mise à niveau technologique et réglementaire. Les régulateurs quant à eux semblent en retard d’une bataille. Ils ont très peu anticipé l’émergence de ces nouveaux acteurs non bancaires qui s’attaquent à la “banque de Papa” avec ses agences physiques surdimensionnées, son coût de service exorbitant et ses produits surannés.

Le succès du compte Nickel en France – “le compte sans banque” – illustre cette nouvelle tendance, autant que l’essor des plateformes de financement participatif (ou crowd-funding) qui mettent en relation directement prêteurs et emprunteurs. Sans parler des crypto-monnaies électroniques, encore balbutiantes à l’instar de Bitcoin, qui s’attaquent à la prérogative régalienne par excellence, celle de battre la monnaie. Il faudra donc que les banques fassent leur mue à tous points de vue, si elles veulent conserver leur place de choix au sein du système financier et monétaire international.

Les lecteurs qui souhaitent plus de détail peuvent consulter l’étude intégrale (en anglais), disponible sur le site de Chappuis Halder & Cie. Lien : http://www.chappuishalder.com/wp-content/uploads/2014/12/CHCie-Risk-Regulation-and-Strategy-Occasional-Papers-Number-1-vfinale-15122014.pdf

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