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Quelle est notre dépendance économique réelle vis-à-vis de la Chine ?

Quelle est notre dépendance économique réelle vis-à-vis de la Chine ? Une analyse basée sur la méthodologie Input Output de Léontief, transposée à l’échelle internationale, permet de le réaliser, secteur par secteur. Les résultats pour la France sont édifiants.

Le développement spectaculaire de la Chine sur la période 1980-2020

Le poids économique de la Chine est indiscutable. L’ancien “colosse aux pieds d’argile” décrit par la littérature économique des années 1960 est devenue, en l’espace d’un demi-siècle,. la deuxième économie mondiale en termes nominaux et la première économie mondiale en parité de pouvoir d’achat (PPA). La Chine n’a fait que récupérer la place qu’elle a jadis occupé jusqu’au 18ème siècle, si l’on en croit les calculs sur la longue durée réalisés par l’économiste Angus Maddison. En 2019, le PIB chinois représentait un cinquième du PIB mondial en PPA et les exportations chinoises représentaient 13% des exportations mondiales, une part sensiblement égale à celle de ses importations. Les années 2000 ont vu une accélération de la croissance chinoise, à la suite de l’accession de la Chine à l’OMC en 2001, avec la bénédiction des Etats-Unis qui y voyaient surtout un moyen d’accélérer la démocratisation de la dernière grande puissance communiste qui subsistait après la chute de l’URSS.

Ce scénario ne s’est pas réalisé. A contrario, l’intégration à l’économie mondiale a offert à ce pays-continent de plus d’un milliard trois cent millions d’habitants des opportunités considérables en lui permettant de renforcer son rôle d’ “usine du monde” tout en évoluant discrètement vers celui de “laboratoire du monde”. La Chine s’est alors mise à fabriquer et à exporter à peu près tout, des pommes jusqu’aux micro-ordinateurs. Le rachat de la division micro-ordinateurs d’IBM par le Chinois Lenovo a été un jalon dans cette phase de croissance et de transformation fulgurante. L’émergence de grandes firmes technologiques chinoises dans les technologies de l’information et dans les télécommunications, capables de résister à la concurrence occidentale et de partir à la conquête de la planète, est venue couronner ce processus de transformation sans équivalent dans l’histoire mondiale.

À partir de 2010, on a néanmoins observé un ralentissement de la production industrielle en Chine, en lien avec le ralentissement de la demande mondiale. Depuis lors, la Chine s’évertue à changer de modèle économique en restructurant son économie, et en l’orientant davantage vers la consommation intérieure. Elle continue cependant de jouer un rôle central dans les échanges mondiaux.

Le développement de la Chine s’est fait selon un modèle qui a été décrit par l’économiste britannique Arthur Lewis, prix Nobel d’économie, et développé par la suite par les économistes Arthur Fei et Gustav Ranis. L’abondante main d’oeuvre rurale sous-employée des provinces de l’intérieur a été utilisée par les usines situées dans les zones côtières, qui étaient directement connectées aux échanges régionaux et mondiaux, et qui étaient insérées de longue date dans le commerce mondial. Rappelons que lorsque Deng Xiaoping a amorcé la politique de la Porte ouverte, c’est vers les anciennes concessions coloniales qu’il s’est tourné, leur faisant retrouver leur ancienne vocation de zones franches d’avant la fondation de la République Populaire. Si la sémantique et le contexte politiques avaient changé, sur le plan économique, il s’agissait d”un retour à l’époque pré-communiste. On a tendance à l’oublier aujourd’hui mais dans les années 1920 et 1930 que les entreprises japonaises avaient déjà commencé à délocaliser une partie de leur production en Chine, créant les premiers réseaux de production transnationaux en Asie. Le Bund construit à Shanghai est un témoignage du dynamisme économique de cette période, même si pour les Chinois c’était aussi une période d’humiliation, de guerres et d’occupation à laquelle il s’agissait de mettre fin le plus rapidement possible.

Décrypter la mondialisation

Au delà de ces considérations générales, il faut étudier de manière plus approfondie la place de la Chine dans ce que l’on appelle couramment la mondialisation, c’est à dire cet enchevêtrement de réseaux de production et d’échanges fragmentés qui, selon Grossman et Rossi-Hansberg, ont remplacé au moins partiellement le commerce des marchandises par un “commerce des tâches”.

Au cours des dernières années, un petit groupe d’économistes dispersés à travers le monde s’est donné pour tâche de substituer aux indicateurs de commerce trans-frontalier de marchandises des indicateurs qui permettaient de quantifier la valeur ajoutée intégrée dans les exportations de chaque pays. En raison de la multiplicité des flux entre différents pays et de leur caractère circulaire le long de la chaîne de production d’un produit, il était en effet très malaisé de quantifier les parts locales de valeur ajoutée intégrées dans chaque produit et d’éviter les doublons.

Néanmoins, grâce à la transposition dans un cadre international de la méthodologie dite “Entrées – Sorties” que l’on doit à l’économiste russo-américain Vassili Léontief, des percées ont pu être réalisées. Ce dernier avait mis en évidence de manière très élégante une relation algébrique qui reliait les consommations intermédiaires de toutes les branches économiques avec les consommations finales qui correspondaient à la valeur ajoutée produite dans chaque branche. Ses travaux ont été récompensés par le prix Nobel en 1973.

En s’appuyant sur cette approche et en l’adaptant à un cadre multi-pays et multi-secteurs, Johnson et Noguera ont par exemple mis en évidence que les statistiques sur les exportations de marchandises chinoises vers les Etats-Unis donnaient une idée très faussée du contenu local réel des biens exportés par la Chine vers les Etats-Unis, en raison de l’intensité des réseaux de production croisés sino-américains, qui se traduisaient par l’importation de biens intermédiaires américains utilisés pour produire les biens réexportés par la suite aux Etats-Unis, ainsi que bien sûr à travers de multiples chaînes de production triangulaires – avec des pays tiers – dans lesquels étaient insérés les deux pays.

Il en résulte, comme le montrent Johnson et Noguera que si les Etats-Unis dégagent un déficit commercial avec la Chine, ce déficit est beaucoup moins important en termes de valeur ajoutée échangée, car les produits chinois exportés vers les Etats-Unis intègrent une part importante de produits intermédiaires importés d’origine américaine ou de tierce origine. Le Made in China et le Made in America sont de facto imbriqués l’un à l’autre et il est difficile de les séparer.

Au niveau agrégé, la somme des balances commerciale de tous les pays est égale à la somme des balances exprimée en “valeur ajoutée exportée”. Mais la répartition des surplus et des déficits bilatéraux change selon que l’on s’intéresse au commerce de marchandises exprimé en termes bruts ou au “commerce de valeur ajoutée”.

La preuve par l’exemple : la dépendance de l’économie française vis-à-vis de la Chine

Afin de mieux mesurer l’impact de la fragmentation des chaînes de valeur, nous avons réalisé une analyse de type “entrée – sortie” pour mettre en évidence la dépendance de l’économie française vis-à-vis de la production chinoise, branche par branche. Les indicateurs plus superficiels comme la part des importations chinoises dans les importations totales ne sont que d’une utilité très faible pour appréhender cette réalité. Plus précisément, nous avons cherché à déterminer quelle était la dépendance de la demande finale (PIB) en France vis-à-vis de la production chinoise. Pour cela, nous avons appliqué la méthodologie de Leontief sur la base des données fournies par la World Input Output Database (WIOD).

En prenant en compte non seulement les flux bilatéraux directs entre les deux pays mais également tous les flux indirects qui passent par d’autres pays, nous pouvons grâce à cette analyse, mieux quantifier le degré de dépendance économique de la France vis-à-vis de la Chine et sa vulnérabilité vis-à-vis d’une interruption soudaine de la production chinoise, comme cela a été le cas durant les premiers mois de cette année, en raison du déclenchement de l’épidémie du coronavirus et des mesures sanitaires drastiques qui ont été prises par le gouvernement chinois.

Les résultats détaillés sont exposés dans le graphique ci-dessous. Nous pouvons voir que dans certaines branches, la dépendance de la demande finale française est particulièrement élevée vis-à-vis de la production chinoise, dans la mesure où la production chinoise est responsable – directement et indirectement – de plus de 10% de la demande finale générée en France pour certains secteurs. Sans grande surprise, c’est particulièrement le cas dans les industries mécaniques, électriques et électroniques, ainsi dans le textile et habillement. De manière plus surprenante, c’est également le cas, dans une moindre mesure, dans des services comme la construction ou les transports aériens et maritimes.

À titre de comparaison, nous avons effectué la même analyse pour la dépendance de la croissance économique en France vis-à-vis de l’Allemagne. Là aussi, comme on pouvait s’y attendre la dépendance est forte, notamment pour les secteurs industriels. Elle est beaucoup plus forte que vis-à-vis de la Chine. Ce qui était tout à fait prévisible.

Nous contacter pour plus de détails sur la méthodologie utilisée, pour obtenir les tableaux sous-jacents aux graphiques et pour utiliser ou citer nos résultats.


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